Êtes-vous déjà passé devant deux maisons particulièrement singulières rue de Mouvaux à Tourcoing ? Des maisons qui détonnent totalement de part leur forme et l’explosion de couleurs ? Il s’agit des derniers vestiges du fabuleux palais du roi du savon. Je vous raconte cette histoire peu banale.
Ça fait bien longtemps que je n’avais pas écrit un article dédié à un élément patrimonial mais puisque les musées, les théâtres, les cinémas, les restaurants etc. sont fermés, il ne nous reste (presque) que les balades: balades natures ou balades patrimoine voire balade culture… Cette fois je vous emmène à la frontière entre Mouvaux, Roubaix et Tourcoing, à proximité de l’arrêt de tramway 3 Suisses. Quand vous sortez du tramway, dirigez vous vers la rue à droite du Courtepaille et continuez tout droit, vous ne pourrez pas manquer les pavillons du concierge et du jardinier tant leur architecture détonne. Mais alors, quelle est leur histoire? Pourquoi deux maisons du même style séparées de quelques mètres?
Fin XIXème, un industriel originaire de Roubaix, Victor Vaissier fait fortune dans le savon et les cosmétiques. En 1878, il reprends, avec ses frères, la Savonnerie des Nations, créée par leur père en 1869. A l’origine, la savonnerie produit des détergents destinés au lavage des matières premières de l’industrie textile (Roubaix… le textile… logique quoi). Bon c’est bien mais ce n’est pas très glamour et, justement, Victor Vaissier souhaite prendre une autre direction.
Fin XIXe, c’est la révolution hygiéniste qui bouleverse les habitudes sociales en matière d’odeur et de propreté (la construction de la Piscine de Roubaix début XXème ça vous parle?), en parallèle, grâce à l’industrialisation, les fragrances chimiques apparaissent. L’entreprise passera donc à la production de savons cosmétiques. Rebaptisée Savonnerie du Congo en 1883, l’entreprise édite un produit-phare éponyme, le Savon du Congo et Victor Vaissier est en 1888 seul à la tête de l’entreprise.
Pour son produit phare, il s’empare d’un sujet d’actualité : l’exploration du Congo. Les emballages se parent donc d’une imagerie d’un exotisme un peu fourre-tout (on est pas franchement sur des représentations exactes du pays) qui rend le produit séduisant et bien identifiable. Vaissier créera plus tard, dans le même esprit et à l’occasion de l’actualité russe (alliance avec la France, naissance de la fille du tsar), les savons Fleurs russes ou la ligne Violette Tatiana.
Il met en place une incroyable stratégie de com’ : réclame dans la plupart des journaux français, fêtes, poèmes cavalcades… ce qui fait de cette entreprise un grand succès. Vous vous posez peut-être la même question que moi: qu’est ce qu’une cavalcade (à part une chevauchée à bride abattue?), j’ai trouvé la réponse sur le site de chateauvaissier
Les cavalcades sont des fêtes très populaires sur le principe des défilés carnavalesques. Victor Vaissier organise à Roubaix, les 20 et 21 mars 1887, la cavalcade du Congo qui sert de lancement en grande pompe de son produit phare, le Savon des Princes du Congo.
https://chateauvaissier.blogspot.com/p/les-cavalcades.html?m=1
Les frères Vaissier font venir un éléphant de Belgique, l’affublent aux armes de la savonnerie, passent leurs employés au savon noir et les couvrent de plumes. C’est un cortège époustouflant qui parcourt les rues de Roubaix. Des nègres d’opérettes cornaquant l’éléphant et distribuant des échantillons de savonnettes chantent à tue tête “ avec le savon du Congo, vous ne ressemblerez plus à un négro !!! ”
Bon clairement on est sur du bon vieux racisme qui nous paraît affreusement choquant à notre époque, mais il faut bien garder en tête que nous sommes en pleine période coloniale, le Congo vient d’être colonisé par la Belgique (Pensez à Tintin au Congo qui date de 1930 et qui est généralement qualifié de « raciste et xénophobe »).
Fort de ce succès, Victor Vaissier décide de se faire construire un palais par l’architecte roubaisien Edouard Dupire. La construction débute en 1889 et se termine en 1892. Ce château est démesuré, le style indien et mauresque détonne totalement. Et d’ailleurs pourquoi un style indien alors que le savon est du « congo » ? Vaissier visite l’exposition universelle de 1889 et admire les pavillons des différents pays qui rivalisent de couleurs. La reconstitution du village africain présentée lors de l’exposition lui fait comprendre que ce n’est pas le type d’architecture somptueuse qu’il recherche. Le rapport entre Inde et Afrique? Les éléphants! Son idée première était de faire supporter l’édifice par 4 éléphants monumentaux. Cela ne se fera pas mais l’idée de l’Inde reste. Le site Histara de la sorbonne nous raconte:
Depuis le seuil du château Vaissier, le visiteur était littéralement transporté de pièce en pièce dans des univers différents dont les inspirations étaient aussi variées que les décorations proposées. Le vestibule surmonté du dôme (110 m²) donnait accès au salon indien (63 m²) encadré de la grande salle à manger indienne (76 m²) et du hall mauresque (70 m²). À la périphérie des espaces de réception étaient ménagés des espaces plus petits comme le boudoir japonais (12 m²), la petite salle à manger mauresque (25 m²). On trouvait aussi une salle d’enfants, dite salle Renaissance (70 m²) qui mêlait des références historicistes à des modèles exotiques témoignant de l’éclectisme qui a prévalu à la construction du palais du Congo.
Bien sûr ce château est une vitrine pour Vaissier, un reflet de son ambition sociale, il souhaite donc diffuser l’image de sa nouvelle demeure luxueuse. Pour ce faire il crée des séries de cartes postales et c’est ces cartes postales qui nous montre à quoi il ressemblait puisque tout ou presque a malheureusement disparu!
Le palais mauresque ne survit pas longtemps à son propriétaire, sa veuve le vend à un homme d’affaire tourquennois qui organise rapidement une vente aux enchères du mobilier intérieur et fait de la démolition de ce Palais un véritable spectacle (pourquoi?! ça je l’ignore, j’imagine que l’idée de conservation du patrimoine ne l’a jamais effleuré). Le bâtiment rasé, il construit des logements pour rentabiliser son investissement. Ne reste que les pavillons du concierge et celui du jardinier.
Pour continuer la balade…
Histoire de ne pas venir juste pour voir ces 2 maisons atypiques je vous suggère de continuer votre balade en vous dirigeant vers le canal de Roubaix pour vous promener le long du sentier de halage (soit direction Tourcoing centre soit direction Wambrechies). Je vous montre des images de cette balade ici.
Autre idée balade nature: découvrir le parc du Haumont de Mouvaux.
Vous pouvez également faire un crochet par le Fresnoy- studio national des arts contemporains. Je vous en parlais ici.
Sources:
Ministère de la culture, POP : la plateforme ouverte du patrimoine, Château dit palais Vaissier
Histara, les comptes rendus, histoire de l’art, histoire des représentations et archéologie
Bibliothèque numérique de Roubaix, Victor Vaissier, prince des savons, roi de la réclame
ASSOCIATION EUGÉNIES, Le château de Victor Vaisser ou le Palais du Congo du roi Savon.
Excellent, un grand merci pour cette découverte et bravo pour vos recherches détaillées ! J’adore ces histoires
Merci beaucoup ! J’essayerai d’en poster d’autres 🙂
Merci et bravo pour ce reportage historico culturel. Cela me fait d’autant plus plaisir que j’ai vécu toute mon enfance sur le site du parc du château où mon père a fait construire une maison dans les années 30. Enfant je jouais parmi quelques « restes » de la construction, un peu comme des douves (selon ma mémoire !). Comment ce château a-t-il pu être détruit ! Je ne pense pas que, heureusement, ce serait possible actuellement.
Merci pour votre commentaire. Je me pose souvent la question… comment a-t-on pu laisser quelqu’un détruire ce château ? Je pense qu’en effet, aujourd’hui cela ne serait plus possible et heureusement !